Un petit extrait du livre d’Anna-Marie Garat, Photos de famille, qui, à quelques détails près, dit de la photographie ce que l’écriture est pour moi.
Pour le plaisir aussi de recopier un très beau texte.
Sitôt sortis de l’enfance, nous sommes vite prévenus de la force d’oubli, de l’éphémère état des apparences. Nous voulons garder vif un peu de l’instant, préserver un fragment immobile du grand évanouissement des jours, rendre présente l’absence, définitivement. La photographie, venue si tard réaliser ce rêve très ancien, comble le besoin éperdu de réparer l’œuvre du temps, qui, sans doute dès la caverne, inspire à l’homme le sens tragique de sa condition. Nous voulons laisser du souvenir entre des mains humaines, revanche que notre esprit réclame contre les défaites de la chair, la transformation des apparences : nous voulons sublimer un peu le devenir en éternité.
Anne-Marie GARAT, Photos de famille, Seuil, 1994