Planoise
Presque un demi-siècle d’histoire
Le 28 janvier 1965, L’Est républicain consacrait une pleine page à un article intitulé « Jour J pour la cité de l’avenir – Un premier sillon, dans des terres vierges c’est, depuis hier, le berceau de Planoise, la ville aux 40.000 habitants ».
Cet événement symbolique marquait sa naissance, 3 km à l’ouest de Besançon.
Le nom de Planoise apparut vers 1435. Il serait à rapprocher du bas latin planesium, avec le sens de planus campus : plaine, terrain essarté. Une autre interprétation privilégie le sens de bois de planes, c’est-à-dire de platanes.
En 1880, la colline de Planoise fut dotée d’un fort censé protéger la route de Dijon-Lyon et la voie ferrée Dole-Dijon. En conséquence, le territoire alentour fut sous emprise militaire jusque dans les années 1920.
Planoise, une réponse à la pénurie de logements (rappel)
L’exemple de Planoise est typique de ce que furent dans les années 1950-60 l’expérience et le phénomène des grands ensembles. Son histoire s’intègre aussi dans l’histoire du logement social à Besançon, la ville étant représentative de ce qui en France, tout au long du 20e siècle, fut tenté pour répondre au problème récurrent du logement.
D’un point de vue plus général, l’histoire de l’urbanisme bisontin est inséparable de la stratégie militaire et du statut de place forte de la ville de Besançon. Celle-ci et ses administrés devront, plusieurs siècles durant, se plier à des servitudes défensives extrêmement contraignantes puis, après et malgré le déclassement de la place, engager pour des années un bras de fer avec l’autorité militaire dans le but de regagner du terrain sur le patrimoine foncier de l’Armée.
Aussi la création de Planoise ne peut-elle être séparée de son contexte politique, économique et social. Plus particulièrement, son histoire est intimement liée à la grave pénurie de logements que connurent les pays européens au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Enfin, Planoise ne s’est pas faite de manière fortuite. Cet espace construit est l’aboutissement de ce qu’une collectivité d’hommes a imaginé, puis entrepris sur plus d’un quart de siècle, que Planoise, comme toute entreprise humaine, est faite d’utopies et de calculs, de passions et de déceptions, d’erreurs et de revirements, et que dans ce projet de ville nouvelle, répondant à des défis d’ordres économique, social et financier, les considérations humanistes ne furent pas toujours absentes.
Planoise, un choix rationnel et une vision humaniste ?
Le site de Planoise est retenu par les autorités municipales, car il apparaît alors comme le seul territoire proche de la cité qui permette de résoudre les problèmes posés par l’extension rapide de Besançon. Les autres territoires envisagés présentent de nombreux inconvénients : capacités d’accueil insuffisantes, difficultés sur le plan de l’urbanisme, prix du terrain trop élevé.
La zone de Planoise présente d’autres avantages :
– la future zone d’habitation pourra être jointe à la zone industrielle de Trépillot en cours d’aménagement, le tout étant indépendant de la ville ;
– par son relatif éloignement, le site de Planoise limite l’engorgement des voies de circulation du centre et permet de sauvegarder le caractère typique de la cité ancienne ;
– la présence d’importants espaces verts et boisés doit permettre la réalisation d’une vaste zone sportive
– et enfin, « ce secteur adossé à la colline de Planoise jouit d’une vue dégagée dans un site particulièrement agréable ».
Le projet de Planoise est d’une telle envergure et d’une telle complexité qu’il ne peut être conduit par la seule ville de Besançon. En outre, la procédure des ZUP (zones à urbaniser en priorité) est soumise à la tutelle de l’État. Aussi, avec ce dernier et la municipalité, de nombreux acteurs participent-ils à l’ensemble des opérations, notamment la Société d’Équipement du Département du Doubs (SEDD), le cabinet d’architectes et les promoteurs publics et privés.
L’État assure la tutelle du projet par l’intermédiaire du Préfet, des ministères concernés et de leurs services déconcentrés. La mission d’architecte en chef est confiée à Maurice Novarina. Ce dernier est chargé de réaliser une étude du projet, puis les plans de masse et le plan directeur d’une ville nouvelle de 13 500 logements sur 128 hectares, pour une population de 40 000 habitants.
Les grandes orientations sont alors une recherche esthétique au niveau du bâti et de l’agencement général des quartiers ; une infrastructure accordant la priorité à la circulation automobile ; la réservation d’espaces relativement importants entre les constructions et les axes de circulation ; une architecture en hauteur permettant de dégager le maximum d’espace. L’ensemble de la ZUP de Planoise, d’une superficie de 128 hectares, doit comporter quatre quartiers périphériques (Époisses, Châteaufarine, Louvière et Bousserote) ceinturant un quartier central.
Les premiers habitants de Planoise
Les 132 premiers logements sont livrés le 30 juin 1968.
En avril 1971, sur les 2 033 logements existants, 1 885 sont occupés (1 429 aux Époisses et 456 à Châteaufarine). La population de Planoise est alors de 7 480 personnes environ. C’est une population très jeune : 82,6 % des habitants sont âgés de moins de 35 ans et les enfants de moins de 11 ans représentent 36 % de la population totale.
La très grande majorité des ménages sont français (90,3 %). Les deux tiers des ménages étrangers sont européens (Italie, Espagne et Portugal), le tiers restant se répartissant entre l’Afrique, l’Amérique et l’Asie.
Plus de la moitié des habitants de Planoise (55,2 %) viennent de Besançon et le tiers d’une autre ville (33,7 %), tandis que la population d’origine rurale ne constitue qu’une faible minorité (8,7 %). Les premiers habitants de Planoise sont donc des citadins.
La répartition des chefs de ménage de Planoise en fonction des catégories socioprofessionnelles révèle une réelle mixité sociale : patrons, professions libérales et cadres supérieurs : 14 % ; cadres moyens : 20 % ; employés : 13 % ; ouvriers : 31 %.
Premier bilan de santé
Une étude a été réalisée fin 1971 par la SEDD en vue d’actualiser le programme de logements de Planoise. Enquête, études et analyses débouchent sur un diagnostic et des propositions de programme.
Or, la France du début des années 60 connaît un léger ralentissement de l’économie et l’agglomération bisontine, quant à elle, traverse une période difficile : des entreprises réduisent leurs effectifs, en particulier LIP et la Rhodiaceta.
Alors que la création de la ZUP de Planoise était un pari sur l’expansion de Besançon, l’incertitude de l’emploi nuit au marché immobilier. Le recensement de 1968 révélait une progression de la population bisontine moins importante que ce qui avait été estimé au début de la décennie. Dans cette conjoncture relativement déprimée, la ZUP de Planoise apparaît « monstrueuse », « disproportionnée ». Par conséquent, dès 1969 et jusqu’à la fin 1970, on marque une pause dans la construction des logements. En outre, on envisage déjà de revoir le projet initial à la baisse.
En ville, l’image de Planoise est plutôt négative, inspirée par des considérations sociales et architecturales : « cohabitation, grand ensemble, monstrueux, bruyant, on est les uns sur les autres ». Les logements sont considérés comme trop chers par rapport à l’image défavorable du quartier. Cependant, on reconnaît la qualité des appartements, l’agrément de l’espace urbain existant, les espaces verts, la voirie, etc. À Planoise même, on constate un degré de satisfaction inhabituel par rapport à la généralité des populations des grands ensembles. En ce qui concerne la qualité des appartements, 40 % des enquêtés répondent que la recherche du confort a été la raison principale de leur venue à Planoise ; 76,6 % n’ont pas l’intention de déménager. Cependant, au travers de l’expérience des autres ZUP et compte tenu de l’image de Planoise, les prix actuellement pratiqués sur la ZUP de Planoise sont jugés peu compétitifs sur le marché bisontin.
On estime alors qu’un effet d’entraînement pourrait être obtenu avec un ensemble de commerces diversifiés, des équipements de loisirs (cafés, cinémas, « drugstore ») et des activités tertiaires (petites industries, artisanat, services, professions libérales).
À Châteaufarine, la construction de 2 317 logements est engagée, dont la livraison va s’échelonner jusqu’en 1974. Pour le futur quartier central, il est proposé de programmer 2 200 logements de 1976 à 1981, ainsi qu’un certain nombre d’équipements centraux, notamment le centre commercial principal de la ZUP.
Le désenchantement
À partir des années 50, le grand ensemble devient la référence de la planification et de l’aménagement urbain ; il répond d’autre part à une logique de rationalisation économique. Jusqu’à la fin des années 60, emménager dans un ensemble H.L.M. est une promotion. Ces nouveaux logements collectifs proposent un confort (chauffage central, eau courante, salle de bains, ascenseurs, vide-ordures) que beaucoup de nouveaux arrivants n’ont jamais connu. L’ambition de beaucoup d’architectes-urbanistes, tels que Maurice Novarina, avait été de faire de « leur » grand ensemble une « cité radieuse ». Aussi la plupart des municipalités ont-elles tenté de construire à leur porte une nouvelle cité, symbole de modernité et de progrès social.
Or, il s’avéra que la réalité des grands ensembles ne correspondait pas aux projets de leurs concepteurs. La taille « inhumaine » des édifices, leur localisation à la périphérie des villes, la médiocrité de l’habitat, le manque d’équipements collectifs, le rapprochement de populations que tout opposait… tout cela fut à l’origine d’un désenchantement général. L’empilement de modules préfabriqués évoquait les « cages à lapins ». Pour les générations nées après guerre, les « cités-dortoirs » matérialisaient l’aliénation de l’homme.
C’est dans ce contexte qu’en 1973 Olivier Guichard, alors ministre de l’Urbanisme, décide de fixer des limites à la construction de ces grands ensembles : au maximum 2 000 ou 1 000 logements, selon la taille de l’agglomération, contre 4 000 en moyenne pour les ZUP déjà réalisées. Puis, en 1977, la réhabilitation du logement social est engagée dans 50 zones urbaines.
De la ZUP à la ZAC
Planoise n’échappe pas à cette désaffection pour les grands ensembles et souffre de son image négative et de son manque d’attrait. Certes, en 1978 la cité compte 6 000 logements et possède des écoles en nombre suffisant. Mais on lui reproche son manque de services publics et de commerces ; les voies de circulation n’ont rien de ce lieu de sociabilité qu’est la rue ; peu ou pas de cafés, encore moins de cinéma.
Or, la plupart des équipements n’ont pu être réalisés faute de financement. Sur les cinq quartiers programmés, le premier, Époisses, est terminé et le second, Châteaufarine, n’est pas encore achevé. On avait en effet marqué une pause en 1969 et le projet initial avait été revu à la baisse : deux quartiers au lieu de quatre autour du quartier central. Les quartiers de la Louvière et de la Bousserotte sont donc passés à la trappe.
Par ailleurs, en 1972-1973, les problèmes posés par le quartier des Clairs-Soleils, surnommé alors le « Petit Chicago », sont interprétés comme de mauvais présages pour Planoise. En 1977, Robert Schwint, succédant à la mairie à Jean Minjoz, veut rétablir le contact avec les « quartiers » (Battant, Clairs-Soleils, Fontaine-Ecu et Planoise). Aussi charge-t-il son équipe de trouver des formules de « re-socialisation ». En ce qui concerne Planoise, il faut poursuivre les travaux, car la demande de logement est encore forte et la possibilité d’utiliser les infrastructures existantes réduirait d’autant les frais engagés.
La commission municipale d’urbanisme décide par conséquent de bâtir un projet de ZAC (zone d’aménagement concerté) en s’appuyant sur les observations et les critiques faites sur les deux quartiers existants. Le dossier de création est approuvé par le conseil municipal le 26 mai 1978. C’est ainsi qu’en une dizaine d’années, au sud du boulevard Allende, de nouveaux quartiers vont s’ordonner autour d’un axe commercial (l’avenue du Parc) joignant la place Cassin à celle de l’Europe, pour se prolonger vers les lycées Victor Hugo et Tristan Bernard. Dans le même temps, des équipements et des services publics font leur apparition : un théâtre, deux gymnases, la Poste, le CCAS, l’hôpital Minjoz, une bibliothèque, une nouvelle école maternelle, les Archives départementales, une piscine-patinoire, une polyclinique…
Planoise aujourd’hui
Presque un demi-siècle s’est écoulé depuis qu’un bulldozer a tracé le premier sillon de Planoise. Aujourd’hui, cette zone urbaine de 2,5 km² concentre près de 8 000 logements pour 20 000 habitants. Or, les 9/10 de son territoire sont classés en « zone urbaine sensible » ; les émeutes de 2005 y ont d’ailleurs laissé un souvenir douloureux avec le décès de Salah Gaham, mort en tentant de porter secours à des étudiants dans l’incendie de l’immeuble dont il était le gardien.
Cependant, depuis quelques années, Planoise profite de programmes ambitieux de réaménagements : réhabilitation de logements anciens, déconstruction de tours et de barres vétustes, construction de nouveaux logements. En 2007 a été inauguré le Centre Nelson Mandela. Depuis 2011, grâce à l’aménagement d’une voie souterraine et d’une esplanade piétonne, le boulevard Allende n’est plus un obstacle. À l’automne 2014, le tramway va permettre de relier Chalezeule via le centre-ville en évitant les encombrements de la circulation. Et il paraît que la municipalité envisage la construction d’une gare pour 2020…
Pour en savoir plus :
Alain GAGNIEUX, Planoise 1960-1990 – Une petite ville au sein de Besançon ?, Service éducatif des Archives départementales, Conseil général du Doubs, 2004 (78 pages).