Lettre du 4 juin 1946
Ateliers de Di An (1), le 4 juin 1946
Mes très chers parents, ma très chère sœur,
Ce matin, de retour de mission, j’ai eu la grande joie de trouver sur ma table de nuit trois lettres de France : deux de chez vous et une d’une jeune personne de connaissance de Marseille. Aussi ce soir à la lumière de ma lampe à essence, car il est 20h30, je me hâte de faire réponse de toutes ces bonnes nouvelles de mon pays natal.
En lisant vos lettres je remarque qu’il circule beaucoup de fausses nouvelles en France sur la situation et le bien-être du corps expéditionnaire d’Extrême-Orient. Il ne faut rien en croire : je puis vous assurer au contraire que nous ne manquons de rien : ni de ravitaillement, ni de cigarettes, ni d’habillement (quoique celui-ci soit assez léger dans ce pays aux fortes chaleurs). Ne vous faites aucun mauvais sang à ce sujet-là. Il nous est possible d’acheter du tabac, cigares et cigarettes en plus des cigarettes anglaises que nous percevons régulièrement tous les dix jours. Au contraire, je puis vous dire qu’il m’est possible d’expédier à Papa des boîtes de 25 cigarettes (genre Voltigeur) qui ne sont pas mauvaises du tout. Question ravitaillement, je souhaite qu’en France vous puissiez aussi bien manger que nous. Pour vous en donner une idée, je dirai que nous recevons même de la glace pour boissons glacées. Je répète donc : ne vous tracassez pas à ce sujet-là. Ne croyez rien aux fausses nouvelles qui circulent : il est vrai qu’un certain parti en veut à mort aux troupes du Général Leclerc.
Vous remarquez sans doute que j’ai changé de papier et d’enveloppes. La raison en est la suivante : à l’avenir les lettres excédant le poids de 10 grammes seront acheminées par la voie maritime. Aussi ce papier rendant les lettres moins lourdes […]. Je m’en servirai dorénavant (2).
Vous me demandez ensuite de vous parler de ma vie. […] Quoiqu’il en soit: réveil à 6 heures, éducation physique, petit déjeuner, puis travail de terrassement (défenses) et opérations. Au retour déjeuner puis sieste jusqu’à 15 heures. De 15h à 18h30 travail de patrouille et opérations. Au retour dîner. Les chaises sont alors […] transportées au dehors et nous bavardons au frais jusqu’à 9h30. Puis c’est le repos bien gagné la plupart du temps. De temps à autre je prend le commandement de mon groupe de choc et j’installe […] à la lisière de la brousse une embuscade de nuit pour appréhender ces Messieurs du Viet-Minh qui de temps à autre se permettent de venir troubler notre repos. La nuit dernière j’ai transporté à l’hôpital de Saïgon un de mes caporaux blessé qui en aura au moins pour 5 semaines. Et je doute qu’à la sortie de l’hôpital il puisse reprendre son service ayant une assez grave blessure au pied gauche. […] Nous n’avons pas beaucoup de malades : pas de dysenterie, pas de paludisme, étant cantonnés dans l’une des régions les plus saines de l’Indochine du Sud.
Je terminerai ce court bavardage en espérant de tout cœur qu’il vous trouvera tous en excellente santé. Je vous embrasse tous bien fort. Bonsoir tout le monde, comme dit Mademoiselle ma sœur.
Serge
P.S. Je suis bien content d’apprendre qu’Yvette travaille bien à l’école. Je lui souhaite un grand succès. Mouki (3) va-t-il mieux, il doit se rétablir bien vite pour la rentrée.
Sous-Lieutenant Jeandot Serge
5ème compagnie
S.P. 53.342
Notes :
1. Non localisé. Je ne suis pas sûr de l’orthographe (ou Mi Au, ou Mi Mu).
2. L’oncle Serge oublie de dire que ce papier est tellement fin que l’on peut lire le verso en même temps que le recto. “Dorénavant”, mon modeste travail de copiste ne sera donc plus de tout repos.
3. “Monsieur le Chat”.