Lettre du 13 mai 1946
Ateliers de Di An (1), le 13 Mai 1946
Très chers parents, très chère sœur,
En cette matinée légèrement ensoleillée (la période des pluies a commencé) je trouve le temps de vous envoyer, une fois entre tant d’autres, de mes nouvelles, qui pour l’instant sont excellentes. Elles seraient meilleures si une foulure au pied droit ne me retenait cloîtré au P.C. à longueur de journée. Ce léger accident m’est arrivé hier soir, en faisant du saut avec mes camarades sur le stade voisin de nos cantonnements. J’espère être bientôt rétabli. […] A part cela tout va très bien. Nous jouons toujours au chat et à la souris avec le Viet-Minh, quoique ce dernier soit moins mordant depuis une huitaine de jours. Nos nuits sont calmes, quelques coups de feu sont seuls tirés par nos sentinelles contre des Viet-Minhs qui essaient de s’infiltrer dans le camp, en sautant les murs. Malgré tout, nous restons sur nos gardes, car il faut se méfier : ce sera au moment où l’on s’y attendra le moins que ces salopards nous tomberont dessus. Il faudra alors faire attention à la casse.
Et vous que devenez vous ? J’attends toujours de vos nouvelles. Elles sont fort rares. J’ai reçu hier soir deux lettres de France, postées à Marseille les 12 et 17 Avril. Je pense qu’il vous est tout de même possible de trouver de temps en temps un instant de liberté pour m’écrire. J’aimerais bien savoir ce qu’il se passe en France depuis mon départ. Nous recevons les journaux de l’armée, il est vrai, mais il ne m’apprennent pas ce que je voudrais savoir. Enfin, j’espère avoir une lettre demain à l’arrivée du courrier. Sinon il me faudra attendre huit jours de plus. Nous recevons le courrier tous les mardis.
Nous venons d’apprendre les résultats du référendum : le M.R.P. à l’air de l’emporter. Nous ne connaissons pas encore les chiffres exacts du vote mais il parait que les NON sont en forte majorité. Ces Messieurs de la Constituante devrons trouver autre chose. Espérons que ce sera mieux cette fois-ci.2
Question santé : je ne me ressens aucunement du climat. Il est vrai que nous nous trouvons dans l’une des meilleures régions de l’Indochine. Et vous, la santé est-elle bonne chez vous ? Mademoiselle prépare-t-elle ses examens ? Je lui souhaite bonne réussite.
Pour l’instant je n’ai plus grand chose à vous dire si ce n’est que j’attends vos pointures de chaussures pour vous en expédier. Il me sera possible de vous expédier aussi : thé, riz, café. Je pense que tout cela vous sera d’un précieux secours : il paraît que le ravitaillement ne va toujours pas mieux.
Je termine en espérant que lorsque cette courte lettre vous arrivera elle vous trouvera tous bien portants. Je vous embrasse tous bien fort.
Serge
Sous-Lieutenant Jeandot Serge
5ème compagnie
S.P. 53.342
Notes :
1. Non localisé. Je ne suis pas sûr de l’orthographe (ou Mi Au, ou Mi Mu).
2. Il s’agit du référendum du 5 mai 1946. L’Assemblée constituante présentait aux électeurs un texte constitutionnel par lequel l’essentiel du pouvoir appartenait à l’Assemblée Nationale. Ce projet rencontra l’hostilité du M.R.P. qui, effectivement, préconisa le NON. Ce texte donna lieu également à des critiques de la part du général de Gaulle. Ce n’est que le 13 octobre 1946 que les Français accepteront – par lassitude diront certain – une constitution finalement très proche de celle de la IIIème République.