Lettre du 2 avril 1946
Johan de Witt, le 2 Avril 1946
Très chers parents, très chère sœur
En cette fin de troisième journée de ce voyage, je me décide enfin après avoir admiré la mer, à vous envoyer de mes nouvelles qui ne peuvent être meilleures pour l’instant. Le bateau a quitté le port le dimanche 31 Mars à 17 heures par une mer calme, excessivement calme. Nous pourrions la comparer à une nappe d’huile; heureusement d’ailleurs car en ce premier voyage en mer je m’en porte mieux. Je n’ai pas encore fait connaissance avec le mal de mer et j’espère ne jamais le faire. Je vais vous parler en début de notre bateau. C’est un magnifique bateau néerlandais de 19000 tonnes tout blanc et parcourant ses 389 milles marins en 24 heures. Nous sommes très bien installés ; les officiers et les sous-officiers jusqu’au grade de sergent-chef couchent en cabine ; le reste dans des hamacs à fond de cale, car ce bateau qui avant-guerre faisait la route des Indes fut transformé en transport de troupes. La nourriture y est très abondante et excellente. Il nous est d’ailleurs possible d’acheter des produits d’entretien chez le coiffeur, des cigarettes anglaises, du savon et diverses autres bricoles au foyer du bord à des prix dérisoires. […] Je disais plus haut que le 31 Mars à 17 heures nous quittions le port de Marseille; le 1er Avril au petit jour nous passions dans le détroit de Bonifacio situé entre Corse et Sardaigne après être passé au large de Saint-Tropez. Le mardi 2 à 6 heures nous étions en vue des Iles Liparis (le volcan Stromboli était en éruption). A 9 heures 30, nous passions au large de la Sicile et à 10 heures nous franchissions le détroit de Messine […] et à cette heure (il est exactement 6 heures 35) nous fonçons sur Port-Saïd où nous comptons arriver jeudi soir. Quoiqu’il en soit ce voyage s’annonce comme magnifique et est fort instructif. Pendant longtemps les mouettes nous ont suivi et de temps à autre dans le sillage du navire nous apercevons un marsouin.
Je ne me lasse pas d’admirer cette immense étendue d’eau tranquille et d’un bleu de Prusse que fend le navire dans sa rapide course. Notre navire est excellent et lorsque la nuit je dors dans ma couchette je ne trouve aucune différence avec un lit de la terre ferme. […] l’ambiance à bord est magnifique, les officiers de marine hollandais sont très serviables et nous nous entendons parfaitement avec eux. Je ne souhaite maintenant qu’une seule chose : traverser jusqu’à Saigon des étendues aussi calmes que la Méditerranée en ce moment. Nos légionnaires sont très calmes et tous se pressent au bastingage pour admirer cette mer.
L’heure du dîner approche, les hollandais étant assez pointilleux sur l’exactitude il va falloir que je vous quitte pour aujourd’hui. Demain, je continuerai sur une autre lettre qui rejoindra la première dans mon sous-main et à l’arrivée du bateau à Port-Saïd je les déposerai.
Je vous quitte donc en espérant que cette courte lettre vous trouvera en excellente santé et en vous embrassant très fort.
Serge